Centre hospitalier de Vauxin

[Aurore Lacroix-Valmont]

Louis-Damien fit un signe à Ciara pour qu'elle vienne se blottir contre lui. Il avait l'habitude, avec ses arrières-petits-enfants.

- Pardonne-moi, j'ai toujours eu du mal pour tutoyer les gens... Hélène me l'a souvent reproché... Dany était exceptionnel. Je n'oublierai jamais quand il s'est interposé entre moi et les révolutionnaires qui me tenaient en joue. Je doute qu'à ce moment-là, il ait pensé que je vivrais si vieux... Tout aurait pu s'arrêter ce jour-là.

Il en parlait d'un ton apaisé. Tout au long de sa vie, il avait vécu avec ce traumatisme, sans chercher à se venger ou à punir. Il pouvait comprendre que ces hommes et ces femmes, dont les proches avaient été emprisonnés, torturés, parfois exécutés, aient eu envie de faire une purge.

- J'ai cru comprendre que tu allais bientôt être élue à la Présidence de l'Assemblée Fédérale ? Je te félicite, c'est une belle mission au service de la Frôce !

Il relâcha l'étreinte, parce qu'il avait du mal à respirer, malgré l'oxygène. Il lui fallut quelques instants pour retrouver son souffle.

- Alors, raconte-moi un peu ce que tu deviens ! Tu as quelqu'un dans ta vie ? Un homme ou une femme ?

[Ciara Gallon]

Blottie contre LD, Ciara devînt de plus en plus sereine. Sûrement car Louis devait l'être.
Papy Dany aurait été fier de toi ! Je ne crois pas te l'avoir dit mais la force de caractère et la force de maintenir ses principes de la part de Mamie Hélène sont une source d'inspiration pour moi.
Tu as raison, cela devrait être officialisé dans la soirée. Je suis la seule candidate au Perchoir !

En entendant Louis-Damien le questionner sur sa vie privée, Ciara ne put s'empêcher de lui sourire.
Non je n'ai pas personne depuis 1 an. L'autre salopard - oh désolé Papy Louis, j'avais oublié que tu détestes la vulgarité ! - David me trompait avec ma meilleure amie à l'époque... Je les ai jetés tous les deux manu militari !
J'ai rencontré il y a quelques semaines un sublime jeune homme brun. Un militant du PEPS. Il est député désormais. Il s'appelle Adil. C'est l'arrière-petit-fils de Pierre Ladan.
Il ne me laisse pas indifférente. Bien au contraire !! Je laisse un peu mariné afin de pouvoir peser le pour et le contre.
Est-ce la bonne solution ? Je n'ai eu qu'un seul homme dans ma vie, ce David.

[Aurore Lacroix-Valmont]

- Peu importe que tu sois la seule candidate, l'essentiel c'est d'occuper la fonction ! C'est un poste prestigieux... qui a du sens car il permet un certain contre-pouvoir, au moins dans le symbole.

Sa voix foutait le camp. Il se servit un verre d'eau et se râcla la gorge.

- Hélène serait sûrement fière de toi, tu sais... Fière de vous tous... Elle avait de grands principes ancrées en elle. Dany n'y a pas été pour rien... J'ai comblé les vides par tout un tas de choses... elle me manque... mais je l'ai vue l'autre jour... Elle m'attend... plus trop longtemps...

A nouveau, on pouvait penser qu'il divaguait, entre son grand âge et son état de santé largement diminué. Mais il y croyait dur comme fer... Il fronça ses sourcils gris et épais quand il entendit le gros mot. Heureusement, Ciara se rattrapa et se livra un peu, ce qui lui fit oublier de la réprimander sèchement, comme il le faisait toujours dès qu'il entendait une grossièreté.

- Tu as bien fait de les chasser de ta vie... ce n'étaient pas des bonnes personnes... Adil... vraiment... c'est troublant... je me rappelle que c'était un petit garçon marqué par la perte de son père, un adolescent turbulent et renfermé. Il a fait de sacrés cheveux blancs à Pierre... C'est surprenant que vous vous soyez trouvés... agréablement surprenant, en fait... je n'aurais jamais misé sur ça !

Lacroix marqua à nouveau une pause pour respirer.

- Le vieux fossile que je suis te dirait que tu as tout ton temps... que rien ne presse. Mais Hélène, elle, je sais ce qu'elle t'aurait dit. Que la vie est trop courte pour laisser passer des occasions, qu'il faut foncer. Si tu trébuches et que tu tombes, tu dois te relever et continuer. Je pense que tu devrais écouter ce que te dit ton coeur. Lui, ne ment jamais.

[Candice Schaft]

Un coursier se présenta en début de soirée et fit livret un bouquet de fleurs ainsi qu'un paquet cadeau.






Le paquet était accompagné d'un petit mot :

Toute la famille Schaft pense fort à vous dans ces douloureux moment et vous présente ses prompts vœux de rétablissement.
Amitiés
Candice

[Ciara Gallon]

Ciara aurait aimé une réponse un peu plus clair. Mais elle adorait ces réponses vagues qui obligeaient par moments l'interlocuteur de Louis-Damien de se creuser les méninges.
Merci Papy Louis ! Mon cœur tambourine violemment quand je vois cet homme. Même une photo de lui !
La légende familiale dit que cela t'arrivait sans cesse concernant Mamie Hélène. Jusqu'à ce que tu lui avoues tes sentiments.
C'est vrai ?

Encore un long moment de silence arriva, LD regarda longuement Ciara. Il devait sûrement songer à Dany le Rouge. À se remémorer tous ces souvenirs d'une vie magnifique même si elle avait "mal débutée"...
Ciara, quant à elle, pensait qu'un pan complet de l'histoire familiale allait s'arrêter. Mais aussi, un pan complet de l'Histoire de Frôce...

[Aurore Lacroix-Valmont]

- Oui, c'est vrai... Hélène arrivait à me faire ressentir des choses bien plus puissantes que les voitures et tu connais ma passion pour celles-ci... Elle faisait s'emballer mon coeur comme jamais...

Son regard se perdit dans ses pensées. Le passé, c'était désormais ce qu'il lui restait, maintenant qu'il n'avait plus d'avenir et que le présent se consumait. Il ne regrettait rien, il n'éprouvait pas de remords. La postérité se chargerait de le juger, lui, il s'en moquait pas mal.

Ils furent interrompus par une infirmière qui venait vérifier que tout allait au mieux. Cela faisait un petit moment que Ciara était dans la chambre. Le temps passait probablement vite pour elle, alors que Louis-Damien avait l'impression que tout durait des heures. L'infirmière vérifia les machines, s'assura qu'il n'avait pas mal, qu'il ne souffrait pas. Cette fois, le vieil homme ne prit pas son air ronchon. C'était la dernière fois qu'il venait ici, il le savait. Alors autant faire en sorte que son passage soit le plus agréable possible pour tout le monde.

Elle quitta la pièce et Louis-Damien reprit la parole :

- Allez, prends le large maintenant... va rejoindre Adil... invite le pour un café ou propose-lui un cinéma... vis, ma petite, profite de chaque instant et ne regarde pas trop dans le rétroviseur. Le passé réconforte mais il ne fait pas avancer. Quand tu seras sur Aspen, fais-moi plaisir, va au Panthéon et rend hommage pour moi à Dany... et puis à Christian... je ne pourrais plus m'y rendre, c'est devenu beaucoup trop fatigant maintenant...

Il la mettait un peu dehors, pas parce qu'il n'aimait pas sa présence mais parce qu'il voulait qu'elle aille de l'avant. Alors que la ligne d'arrivée était toute proche, il faisait un peu de vide autour de lui, en disant adieu à celles et ceux qu'il aimait. Une façon de les aider à continuer en paix, à ne pas être trop attristé quand il rendrait son dernier souffle. Ainsi, il irait mourir comme il le voulait, discrètement, sans un bruit, sans tumulte, chez lui.

[Ciara Gallon]

Les mots de Louis-Damien étaient magnifiques ! Tellement magnifiques que Ciara laissa couler ses larmes en silence.
Je n'oublierai JAMAIS tes conseils Papy Louis !!! JAMAIS !
J'oublierai JAMAIS ta bienveillance !

Avec l'arrivée de l'infirmière, Ciara se dit qu'elle avait exagéré sur le temps de présence.
Coment veux-tu que je leur rende hommage à Big Dany et Christian Valmont ?

[Aurore Lacroix-Valmont]

- A toi de choisir, Ciara. Je sais que tu sauras quoi faire pour leur rendre hommage.

Après l'infirmière, ce fut au tour du médecin de rentrer dans la chambre. Dernière étreinte avant que Ciara ne soit aimablement invitée à quitter la pièce. Louis-Damien soupira, alors que le cardiologue vint l'ausculter.

- Quand sortirais-je ?

- Enfin, M. Lacroix, vous venez d'arriver ! Vous voulez déjà nous quitter ?

Le vieil homme eut un rire et l'atmosphère se détendit un peu.

- C'est la dernière fois que je viens. Mais ça, vous le savez déjà. Docteur, je n'ai pas peur de la mort. Je la sens qui approche depuis plusieurs mois déjà. Alors n'y allez pas par quatre chemins. Une fois dehors, combien de temps vous me donnez environ ?

- Difficile à dire... cela va dépendre pour beaucoup de vous... Dix jours... peut-être vingt... Votre coeur est fatigué et il ne se remet pas aussi bien que ce que je souhaiterais...

- Peu importe... vous avez déjà fait du très bon travail jusqu'à maintenant. Je crois qu'à un moment donné, il faut accepter de laisser partir...

- C'est toujours compliqué pour nous autres, médecins...

- J'ai bien vécu... j'ai fait tout ce que je voulais faire, sauf peut-être une chose encore, mais il me reste 10 jours pour le faire.

- Puis-je vous demander ce dont il s'agit ?

- Vous pouvez, mais je ne vous le dirais pas... parce que si je vous le disais, votre conscience professionnelle vous obligerait à tout faire pour m'en empêcher.

Il y eut un silence, pendant lequel ils se jaugèrent du regard. Le médecin finit par acquiescer, même si cela ne lui plaisait pas. Louis-Damien ajouta :

- Je ne vous remercierai jamais assez pour toute la gentillesse dont vous avez fait preuve, et pour votre infinie patience. Je n'ai pas été un patient facile, j'en ai bien conscience. Puisque nous savons tous les deux que c'est fini, je souhaite que vous établissiez un bon de sortie. Je suis prêt à vous signer une lettre de décharge, s'il le faut. Je veux rentrer chez moi pour y finir ma vie paisiblement.

- Mais s'il vous arrive un autre accident vous risquez...

- De mourir ? C'est inéluctable. Je préfère mourir là où je me sens bien, dans un endroit qui a bercé ma vie. S'il vous plait, Docteur... j'en appelle à votre humanité...

Ils se regardèrent pendant un long moment, en silence.

- Vous allez nous manquer, Monsieur Lacroix...

Les yeux embués, le médecin se leva et quitta la pièce. Quelques minutes après sa sortie, on lui apporta un magnifique bouquet de fleurs et un paquet cadeau. Louis-Damien regarda la carte. Candice.... cette chère Candice ! Il demanda une feuille et un stylo, qu'on lui apporta rapidement. Sa main tremblante se mit à écrire, avec approximation et difficulté : "Chère Candice, je vous remercie pour votre bon mot et pour votre cadeau. N'ayez crainte, tout cela n'a rien de douloureux. Cela passera, avec le temps. Prenez soin de vous et des vôtres". Il signa. Dernière signature, nette.

[Ciara Gallon]

Ciara dût s'arrêter car la tristesse et la douleur l'obligea à s'affaler sur le sol... C'était dur de voir un être cher partir. Au bout deux bonnes minutes, elle respira "un bon coup". Repris son sac, y rangea les quelques babioles étalées sur le sol et parti de suite vers le Panthéon...

[Karl Lacroix-Hanke]

26/12/107.

Louis-Damien était de retour à l'hôpital. Mais cette fois-ci, pas pour lui. Une heureuse nouvelle lui avait été annoncée. Son arrière petit fils, Christian Lacroix-Valmont, le fils d'Aurore et Eric, qui s'était marié un an plus tôt avec une certaine Joséphine, l'appela pour lui annoncer qu'ils venaient d'avoir un petit garçon, prénommé Guillaume.

Ni une, ni deux, le vieil homme exigea qu'on l'emmène à l'hôpital pour rencontrer son lointain descendant. Poussé en fauteuil roulant par Karl, il parcourut le service maternité sous les regards bienveillants et un peu intimidés du personnel l'ayant reconnu. Il prit le bébé dans ses bras, non sans dire qu'il avait les yeux d'Hélène. Après quelques heures, il quitta la chambre et profita de sa présence pour demander à voir le personnel soignant sur service de cardiologie.

Moment d'émotions partagées, entre le patriarche et celles et ceux qui l'avaient soigné, malgré son mauvais caractère de patient entêté et résigné. Il rentra ensuite chez lui, fatigué et las, demandant à se coucher avant le repas du soir.