Le club Quo Vadis est un petit bijou art-déco situé au coeur d'Aspen, entre l'Assemblée et la Cité Ministérielle. Créé en 46 par Dov Wachtel, il est devenu au fil des ans un repère des politiques, artistes et personnalités les plus en vue de la capitale. C'est aujourd'hui Esther Wachtel de Chirey, petite fille de Dov Wachtel, qui en est la propriétaire. Autant dire qu'elle est ici chez elle.
Une rumeur dit que l'établissement cache une backroom où l'on n'accède que dépouillé de ses vêtements. Ce n'est sans doute qu'une rumeur.
Cela faisait du bien de se retrouver à Aspen pour la semaine. Valentin avait enchainé trois visites internationales, et s'il débordait toujours d'énergie, le fait de se concentrer un peu plus sur son pays lui permettait de lever un peu le pied. Alors qu'il sortait de son ministère, une vieille connaissance, Benjamin, l'aborda dans la rue d'un "Alors, Brimont ! Tu ne veux plus t'envoyer en l'air, tu préfères faire des trucs terre à terre ?". Ils se connaissaient de l'école de pilotage. Et ils avaient même été recrutés en même temps. Une amitié basée sur leur passion commune pour les avions. Après un bref échange, Valentin accepta d'aller boire un verre dans un club "trop hype" de la Capitale. Il nota le nom et l'adresse avant de rentrer chez lui pour prendre une douche et se préparer. Il ne disait jamais non à une soirée sympa. Encore moins quand c'était avec des gens appréciables.
22h, Valentin arriva au Quo Vadis. Première fois qu'il venait ici. Il avait une chemise décontractée, ouverte sur le haut de son torse d'où on voyait quelques poils blonds sortir. Pantalon et derbys, il était habillé avec élégance, sa magnifique montre Mont-Blanc en argent au poignet. Il entra et Ben ne tarda pas à lui faire signe de la main. Il avait déjà réservé un coin. Valentin le rejoignit.
- Je connaissais pas ce club, ça a l'air sympa !
- Haha ! Sympa ouais ! J'y ai serré de bonnes meufs, ça je peux te le dire.
Valentin leva les yeux au ciel et interpela le serveur pour commander un Bloody Mary.
- C'est bien sympa, mais j'ai pas accepté de venir pour entendre la dernière épopée de ta queue. A part ça, donc, quoi de neuf ?
Et de se lancer dans une conversation sur leurs carrières respectives, en ignorant un peu le reste du monde. Valentin avait un côté très snob. Il ignora superbement la serveuse qui lui apporta son cocktail. Il préférait les femmes qui avaient une bonne situation, de toute façon.
Nombre de mots : 372
Chancelier Suprême, en charge de la Défense, des Affaires Étrangères et du Commerce International.
Député Fédéral UDF.
Esther avait passé une journée plutôt tranquille. Elle avait envoyé à la Métropole d'Aspen son audit budgétaire, avait réglé la plupart de ses dossiers en cours et pouvait profiter d'une semaine allégée. La jeune femme avait choisi de profiter de son club aspinois. Le début de l'été affichait des températures chaudes et une moiteur propices aux soirées de rencontres. Et des rencontres, elle espérait en faire. Son travail était rempli de jeunes consultants insupportables et de vieux fonctionnaires aigris ; ses soirées étaient pleines de jeunes hommes qui pesaient trop leurs mots et en faisaient des tonnes pour afficher un féminisme de façade pour lui plaire. Rien de nouveau à l'horizon depuis des mois.
Installée à une table, elle lisait La Libre Frôce lorsqu'elle vit le Ministre de la Défense entrer dans son club. Elle n'était pas vraiment surprise de le voir ; en fait, elle était plutôt surprise de ne pas avoir croisé ce jeune loup, fils de Chancelier, plus tôt dans son antre. Le Ministre était accompagné d'une sorte de beauf qui parlait bien trop fort. Rien d'étonnant là non plus - Esther ne méprisait pas grand chose de plus que les jeunes de droite, qui pensaient que tout leur était dû.
Brimont, cependant, avait un petit quelque chose de charmant. Elle avait déjà fait une réunion avec lui - Corsberg travaillait pour le Ministère dont le jeune homme avait hérité. Il était de droite, bien sûr, mais il y avait chez lui un côté Largo Winch assez plaisant. Comme le milliardaire de fiction, Brimont n'avait pas sans doute spécialement choisi de devenir un héritier capitaliste, et tentait vraisemblablement de cacher l'ombre du père derrière des voyages diplomatiques risqués. Couillu.
Esther se dit qu'elle ferait bien une petite blague au ministre. Elle récupéra la commande de Brimont, lui prépara le cocktail qu'il avait demandé et lui apporta. Le jeune loup ne leva même pas les yeux pour la regarder. Elle en fut outrée.
- Dis-donc, Monsieur le Ministre, on ne remercie pas les serveuses ? Elles font pourtant un métier plus difficile que beaucoup de vos militaires.
Clairement, Valentin ne s'attendait pas à se faire interpeler de la sorte. Mais ce fut efficace, il leva ses yeux bleus, parfaite vitrine de sa froideur naturelle. Clairement, dans son regard, de prime abord, il émanait une forme de mépris. Jusqu'à ce qu'il reconnaisse son interlocutrice. Esther Wachtel de Chirey, associée chez Corsberg & Wollf. Un beau brin de femme qui savait ce qu'elle voulait.
- Je doute que les serveuses aient le moindre risque de sauter sur une mine ou de prendre une balle ennemie. Et puis, je ne crois pas être responsable de leur choix de carrière. Quand on a décidé de faire son métier, on en prend les bons et les mauvais côtés. Le travail est ingrat, n'est-ce pas ? Et cela arrive même aux Ministres, qui se font remballer au sortir d'une réunion ! C'est fou, vous ne trouvez pas ?
A quoi faisait-il référence ? A ce qu'il s'était passé après la réunion. Intrigué par la jeune femme, Valentin l'avait approchée pour lui proposer d'une façon assez peu subtile d'aller boire un verre et d'échanger leurs numéros. Contrairement à son père, Valentin n'avait pas franchement hérité de talents de séduction ou de romantisme. A vrai dire, sa difficulté à s'attacher à quelqu'un venait notamment de sa jeunesse. Certes, il avait déjà eu des relations, mais rien de bien stable et de très concluant.
Visiblement, Brimont n'avait pas digéré d'être éconduit dans son entreprise et il le faisait sentir. Comme son père, il avait un sacré caractère. Ben, à côté, les regarda avec un sourire en coin et d'un air graveleux, il dit, en tapant sur l'épaule de son pote :
- Hahaha !!! Tu t'es pris un vieux râteau des familles par la patronne ! T'es impayable, Valentin.
Agacé d'être affiché de la sorte par son ami bruyant, Brimont prit son bloody mary et le descendit d'une traite. Il reposa son verre vide sur le plateau d'Esther et lui dit :
- Un autre et avec plus de vodka.
Pas de formule de politesse, mais un regard pétillant. Si elle voulait jouer, alors il jouerait. C'est que Valentin n'était pas du genre à se débiner et à tourner la langue dans sa bouche avant de parler. Il ignora superbement Ben qui couinait de rire comme un singe à qui l'on tente de mettre un thermomètre.
Nombre de mots : 428
Chancelier Suprême, en charge de la Défense, des Affaires Étrangères et du Commerce International.
Député Fédéral UDF.
Décidément, le jeune homme était vraiment de droite. Il y avait quelque chose de touchant dans son aplomb - qui devait cacher cependant une grande incertitude, à moins qu'Esther se prenne trop pour une psy.
- Je veux bien jouer à la serveuse pour compenser un égo masculin blessé, mais en revanche je ne sers qu'un seul client... Ben, tu connais déjà l'arrière-salle, non ? Va te prendre une bouteille de Pol Roger, c'est la maison qui paie.
Esther pencha légèrement sa tête sur le côté et sourit à l'ami de Brimont d'un air entendu.
La jeune femme passa ensuite son mètre soixante quinze derrière le bar.
- En revanche, on ne peut pas choisir sa serveuse et choisir sa boisson... Surtout quand la serveuse est une ashkénaze diplômée d'Harvard, du bord politique opposé qui plus est. Je vais donc nous préparer...
Esther observa quelques secondes les étagères remplies de bouteilles.
- Je sais ce qu'il nous faut...
Wachtel versa quelques glaçons dans deux verres, puis ajouta dans un shaker du Gin, du Cointreau, du jus de citron et du sucre. Elle brisa un oeuf sur le bar, et versa le blanc avec les autres ingrédients. Elle secoua quelques secondes, rajouta les glaçons, et secoua encore, avant de verser le contenu dans les deux verres.
- Un white lady. L'oeuf dans le cocktail est un peu l'ingrédient moche, celui qu'on cache, mais c'est aussi celui qui donne du corps au mélange... Santé !
Après avoir goûté ce délicieux cocktail, Esther s'adressa à Valentin les yeux dans les yeux.
- Et vous, Monsieur Brimont, quel est l'ingrédient que vous cachez et qui, pourtant, fait ce que vous êtes ? Je vous préviens, l'orgueil des hommes me fait sourire, mais c'est bien leur fragilité qui me touche...
Valentin eut un regard vers Ben. L'arrière-salle ? De quoi parlait-elle ? Apparemment son pote, lui avait tout compris. Sans doute qu'il y avait un truc VIP derrière, avec billard, boissons à prix réduits et nanas bien roulées dans des robes de soirée. N'empêche, il eut l'air sacrément enthousiaste lorsqu'il se leva et lui donna une tape sur l'épaule...
Brimont reporta son attention sur Esther qui prépara sous ses yeux un white lady. Clairement, Valentin était comme beaucoup de jeunes, il aimait picoler. Sans doute était-ce lié au fait qu'il avait toujours bu le vin de son père depuis son enfance. Il ne s'était jamais posé la question. Ils trinquèrent tandis qu'il ne la quittait pas des yeux. Ca c'était bien dosé !
Il soutint le regard de son interlocutrice. Elle avait une façon d'être qui l'intriguait de plus en plus.
- Pas mal la métaphore. C'est rare de voir des gens de gauche cultivés ! Et doués pour les cocktails. Comme quoi, la valeur travail c'est finalement un concept que vous avez acquis !
Il n'était pas dupe, il avait appris à se protéger des tentatives d'intrusion dans sa vie privée, dans son passé. Avec un petit sourire charmeur, il répondit :
- Pourquoi vous dévoilerais-je mon ingrédient secret ? Essayez donc de le découvrir ! Dites-moi, selon vous, quelle est ma "fragilité" ?
Il continuait à la fixer, tout en buvant une gorgée de son cocktail. Il était à la fois tendu et curieux. Ca se sentait dans sa posture. Esther allait-elle s'aventurer à une hypothèse ?
Nombre de mots : 287
Chancelier Suprême, en charge de la Défense, des Affaires Étrangères et du Commerce International.
Député Fédéral UDF.
- Je pense qu'il y a mieux dans ce pays que deux héritiers privilégiés pour parler de valeur travail, vous ne pensez pas ?
Plus Esther devenait aventureuse, plus le jeune devenait relou. En son for intérieur, elle se dit qu'il n'était pas possible d'être aussi à droite et aussi cassant - peut-être s'était-elle trompée et avait-elle à faire à une personne tout simplement insupportable ? La jeune femme reprit une gorgée de son cocktail.
- Vous croyez que je vais dresser votre portrait chinois, pour le simple plaisir de votre égo, comme tant de petites blondes cheap aux cheveux lisses de droite en école de commerce ont dû le faire avant ? Ça serait mal me connaître... Je vais plutôt vous donner trois affirmations, et vous me direz laquelle est vraie. Voici la première : "Je suis cassant car j'ai besoin d'afficher un caractère fort pour qu'on me regarde moi, et non plus mon père". La seconde : "Apparaître ostensiblement de droite permet de justifier ma position politique précoce". La dernière : "Je suis un héritier, et même si cette brune aux cheveux courts est de gauche, c'est aussi une héritière qui pourrait me comprendre mieux que quiconque".
Là, c'était quitte ou double. Soit elle était allée trop loin et allait se manger un vent plus gros que ce qu'elle avait infligé au Ministre plus tôt dans la journée, soit elle avait vraiment réussi à le désarçonner, ne serait-ce qu'un petit peu.
- C'est vrai que nous ne sommes sûrement pas les mieux placés pour parler de ça !
Il soutint son regard quand elle énuméra les différentes possibilités. Qu'avait-il à perdre à répondre ? Rien... en fait, il trouvait ce jeu intéressant. Il laissa tout de même un silence parce que dans le fond, Esther avait tapé juste tout en ayant très peu d'informations sur lui. Il répondit d'abord pour le cocktail :
- Surprenez-moi.
Il termina son verre et se tint bien droit face à elle, pour lui répondre. Inconsciemment, il se grandissait pour s'imposer. Que cherchait-il à faire ? A l'impressionner ? A lui montrer que malgré ce qu'il allait admettre et reconnaitre, c'était un dur, un vrai ? Enfin, pas trop dur non plus...
- La première et la troisième affirmation. Mais vous vous trompez sur deux choses. Je ne suis pas allé en école de commerce. Et je suis davantage intéressé par les brunes comme vous, justement. A mon tour de vous poser une question, pourquoi cet intérêt si soudain pour ma personne ? Vous étiez si prompte à m'éconduire l'autre jour.
Nombre de mots : 208
Chancelier Suprême, en charge de la Défense, des Affaires Étrangères et du Commerce International.
Député Fédéral UDF.
Esther gloussa, repassa derrière le bar et se dit qu'elle n'avait aucune motivation à préparer un cocktail de nouveau. Elle prit donc dans le réfrigérateur une bouteille de Pol Roger dont elle fit rapidement sauter le bouchon.
- Je n'ai pas dit que vous étiez passé par une école de commerce, j'ai dit que les filles qui vous draguent en viennent, et ça, je suis sûr que vous ne pouvez pas le nier !
La grande brune servit deux flutes de Champagne.
- J'ai visé juste je crois, mais ce n'est pas vraiment compliqué... Etant la petite fille de deux anciens présidents de la République, je connaît bien ce sentiment d'être jugé sur ma famille plutôt que sur moi même ! Et pour ce qui est de l'intérêt pour vous, je vais vous dire...
Esther se pencha vers Valentin et murmura à son oreille :
- ...les mecs de gauche m'emmerdent.
Elle rit en portant à nouveau la flûte de Champagne à sa bouche et regarda le Ministre dans les yeux.
- Et si je vous ai éconduit, comme vous le dites élégamment, c'est que c'est bien la seule parcelle de pouvoir qu'il me reste face à des hommes tout puissants tels que vous ! Refuser des avances, surtout en milieu professionnel, ça permet à la fois de garder sa stature et aussi de vous faire comprendre, à vous les mâles, que tout ne vous est pas dû...
- Touché. Mais ces filles-là peuvent me draguer si elles le souhaitent, je ne vais pas m'en plaindre, au contraire. Je trouve ça valorisant d'être séduisant, pas vous ?
Du champagne, donc ! Voilà qui contrastait avec les deux cocktails que Valentin avait ingurgité. Esther avait du goût, à n'en point douter. Il but une gorgée dont il apprécia le goût. Le Pol Roger était connu pour sa qualité. Il sourit quand elle lui murmura à l'oreille, sa petite confession sur les hommes de gauche. Il lui répondit, avec un regard brûlant :
- Ca tombe bien alors... parce que moi aussi. Par contre, les filles de gauche, il se pourrait bien que...
Il s'approcha à son tour pour murmurer à tour, effleurant sa joue de la sienne :
- Elles m'intéressent aussi...
Ayant toujours l'impression qu'il s'agissait d'un jeu, entre eux, Valentin eut un petit rire quand elle justifia le fait de l'avoir éconduit. Une prise de pouvoir qu'il jugeait éphémère, dans le fond.
- Soit, si vous le dites... et donc, maintenant que nous ne sommes plus dans le milieu professionnel, allez-vous m'éconduire à nouveau ?
Alors qu'il prononçait ces mots, il lui vint une question :
- Mais à propos, que faites-vous ici ? Vous donnez un coup de main à une amie ?
Nombre de mots : 225
Chancelier Suprême, en charge de la Défense, des Affaires Étrangères et du Commerce International.
Député Fédéral UDF.
